Mon compte
    Animation japonaise : le légendaire réalisateur Rintarô publie ses passionnantes mémoires !
    Clément Cusseau
    Clément Cusseau
    -Rédacteur
    Après des études en école de cinéma, il intègre la rédaction d’AlloCiné en 2011. Il est actuellement spécialisé dans les contenus streaming et l’actualité des plateformes SVOD.

    Collaborateur d'Osamu Tezuka et de Leiji Matsumoto notamment, le réalisateur Rintarô publie aux éditions Kana une passionnante bande-dessinée autobiographique qui retrace ses 60 ans de carrière !

    Leiji Matsumoto / Toei Animation

    Invité du Festival d'Annecy 2023, Rintarô est une véritable légende vivante de l'animation japonaise. Sa carrière qui s'étale sur plus de soixante ans lui a notamment permis de travailler avec Osamu Tezuka, Leiji Matsumoto ou encore Katsuhiro Ōtomo.

    Artiste exigeant doublé d'un conteur au talent extraordinaire, Rintarô revient cette année sur son extraordinaire parcours à l'occasion d'une bande-dessinée autobiographique intitulée Ma vie en 24 images par seconde (dès à présent disponible aux éditions Kana).

    L'occasion de nous replonger dans l'entretien-fleuve que nous avait accordé le cinéaste japonais à l'occasion de sa présence lors du dernier Festival d'Annecy !

    Pouvez-nous parler de votre nouveau court-métrage Nezumikozō Jirokichi, présenté au Festival d’Annecy 2023 ?

    Rintarô : Au cours de mes soixante ans de carrière, j’ai évidemment réalisé beaucoup de films d’animation mais il y a un nombre de projets encore plus importants que je n’ai pas pu concrétiser.

    Et à ce stade de ma carrière, c’était exactement le type de projet sur lequel je souhaitais travailler. J’ai souvent tourné des films commerciaux, et j’ai également adapté un certain nombre d'œuvres existantes, mais cette fois-ci je souhaitais rendre hommage à un cinéaste qui a réellement existé.

    Vous êtes un réalisateur qui a été énormément inspiré par le cinéma occidental, et particulièrement par le cinéma français. Avez-vous été influencé par exemple par les films de la Nouvelle Vague, dont votre court métrage emprunte à plus d’un titre les codes esthétiques ?

    Merci beaucoup pour la comparaison, je suis très flatté ! Tout au long de ma carrière, j’ai été influencé par des films découverts au cours de ma jeunesse, issus du cinéma italien et français, et notamment pour la mise en scène de mes propres films.

    Je pense donc que leur influence peut se ressentir dans tous les films que j’ai tournés, y compris dans ce nouveau court métrage.

    Nezumikozō Jirokichi
    Nezumikozō Jirokichi
    0h 23min

    Comment avez-vous découvert les films de Sadao Yamanaka, et pourquoi avoir décidé de consacrer un court métrage à ce cinéaste ?

    C’est un cinéaste qui a débuté à l’ère du cinéma muet, et il a révolutionné l’industrie du cinéma. Il tournait des films d’époque, mais c’était un réalisateur avec une mise en scène très moderne, notamment dans sa façon d’utiliser les mouvements de caméra.

    Sa façon de travailler m’a beaucoup impressionné. Je pense qu’il n’est pas très connu en France, mais au Japon tous les cinéphiles admirent et connaissent son travail. Quel dommage qu’un réalisateur aussi talentueux soit mort à seulement 28 ans, c’est la raison pour laquelle je souhaitais lui rendre hommage avec ce film.

    Genco/M2/Miyu Productions

    Vous vous destiniez à l’origine au cinéma en prises de vues réelles, et votre incursion dans l’animation n’était censée être que provisoire. Pourtant, vous voici soixante ans plus tard à Annecy pour célébrer une carrière remarquable dans l’animation !

    C’est vrai qu’à l’origine je souhaitais devenir réalisateur de films en prises de vues réelles mais je ne savais pas comment le devenir. A une époque, j’ai même envisagé une carrière comme dessinateur de mangas.

    Mais en découvrant le monde de l’animation, je me suis rendu compte qu’il était possible de faire des films encore plus intéressants qu’en prises de vues réelles.

    Ma découverte des codes et du langage de l’animation ont été une vraie révélation ! Quand je fais un film, je n’ai pas l’impression de produire de l’animation mais simplement de produire des œuvres cinématographiques et le fait qu’il s’agisse d’animation m’importe finalement peu…

    Quand on réalise un film d’animation, mon travail ne diffère pas de celui d’un réalisateur en prises de vues réelles. Dans les deux cas, l’attention doit être portée sur le montage, le cadrage, le découpage… J’ai d’ailleurs tendance à employer un champ-contrechamp comme on en voit dans les films live-action.

    Quel souvenir gardez-vous de votre relation avec Osamu Tezuka, avec qui vous avez notamment collaboré sur les séries Astro, le petit robot et Le roi Leo ?

    Je me souviens parfaitement de cette époque. Astro a été la toute première œuvre sur laquelle j’ai travaillé en tant que metteur en scène. Et je me souviens du dilemme que j’ai rencontré sur Leo durant la production de la série, car je ne partageais pas le point de vue humaniste d’Osamu Tezuka.

    La série met en scène l’amitié entre Leo et un jeune garçon, mais Tezuka ne souhaitait pas montrer la mort d’humains dans sa série. Dans la nature, notamment pour se nourrir, des espèces doivent parfois s’entre-tuer, et je ne partageais pas son point de vue.

    Mais malgré tout j’ai suivi ses directives. Je ne veux pas paraître trop critique envers la vision de Tezuka, d’autant que je garde de très bons souvenirs de cette série.

    Il faut rappeler qu’il s’agit de la toute première série en couleur diffusée à la télévision japonaise, et j’ai beaucoup aimé le décor de la jungle qui était spectaculaire. Et je n’oublie pas de citer également la musique qui a été faite par Isao Tomita, un musicien très talentueux, et sa musique symphonique se mariait parfaitement aux paysages africains de la série.

    Et à l’époque, chaque fois qu’un épisode du Roi Léo était réalisé, l’orchestre symphonique se réunissait pour jouer la musique – ce qui serait totalement impensable dans le monde d’aujourd’hui. J’imagine donc qu’au niveau du budget, la production du programme ne parvenait pas à rentrer dans ses frais (rires).

    Astro boy
    Astro boy
    Sortie : 1963-01-01 | 25 min
    Série : Astro boy
    Spectateurs
    3,1

    On surnomme Osamu Tezuka le dieu du manga, mais on oublie souvent de citer que c’est grâce à lui que les anime japonais sont parvenus à trouver un rythme de production permettant de s’adapter à un format de diffusion hebdomadaire.

    Nous avons inventé le langage de l’animation japonaise que l’on retrouve encore dans les productions d'aujourd’hui, bien que chaque époque a permis d’ajouter son lot d’innovations. A l’époque, personne n’imaginait qu’il était possible de faire une série d’animation à la télé, cela n’existait tout simplement pas.

    Osamu Tezuka rêvait de faire des films comme Walt Disney, mais il n’avait pas les moyens de faire des longs métrages. C’est pourquoi il a décidé de se tourner vers la télévision. La différence principale entre le cinéma et les séries est qu’un long métrage prend en général un ou deux ans à être produit. En revanche pour les séries, les temps de production sont très courts afin de pouvoir s’adapter au rythme de diffusion hebdomadaire.

    Les animateurs qui ont travaillé sur la série Astro, le petit robot travaillaient habituellement sur les longs métrages de Toei Animation, et aucun n’avait déjà travaillé pour la télévision. Tout le monde pensait qu’il s’agissait d’un défi totalement impossible à relever. Seul Tezuka croyait en ce projet, car il connaissait ce qu’on appelle l’animation "limitée" des séries américaines.

    Osamu Tezuka s’est chargé lui-même de la mise en scène et de l’animation clé du premier épisode. Il dessinait et toute l’équipe le regardait travailler. Il dessinait le visage d’Astro, mais sans les yeux ni la bouche ; aujourd’hui on dirait qu’il dessinait un calque photoshop. La deuxième couche était les yeux, trois modèles différents ont été dessinés : ouverts, à moitié ouverts et fermés.

    Tezuka Productions

    Pour la bouche, il a appliqué la même méthode. Pas besoin de dessiner pour chaque syllabes, là aussi trois modèles ont suffit : ouverte, à moitié ouverte et fermée. C’était une animation très sommaire, et chaque animateur avait pour tâche de dessiner les yeux ou la bouche, et c’est ainsi que nous avons commencé à faire notre version de l’animation limitée.

    A l’époque, c’était une méthode révolutionnaire pour nous car jusqu’alors nous nous inspirions des productions de Disney, où les corps n'arrêtent pas de bouger. Je n’étais pas très à l’aise avec cette méthode, et le mouvement saccadé de nos personnages est né des contraintes auxquelles nous étions soumis. Mais finalement cet aspect est devenu caractéristique de l’animation japonaise.

    Autre exemple, pour les scènes où Astro est en train de voler. Seule la couche de flamme à ses pieds est animée, ensuite nous avons dessiné une grande version du décor sur un celluloïd, puis Astro lui-même sur un second celulloïd. Il s’agissait ensuite de bouger le décor devant la caméra, pour donner l’illusion image par image d’un mouvement du personnage.

    Les animateurs de l’époque n’ont pas aimé cette méthode, alors que moi au contraire j’ai apprécié cette économie de mouvements car il s’agissait d’une nouvelle forme d’esthétique. Finalement, cette méthode est devenue la marque de fabrique de l’animation japonaise.

    Bien que tout le monde se moquait de lui à l’époque, c’est finalement Osamu Tezuka qui avait raison et qui a imposé sa vision à toute l’industrie de l’animation.

    Leiji Matsumoto / Toei Animation

    Une autre rencontre qui a énormément compté dans votre carrière est celle avec le regretté Leiji Matsumoto. Quel souvenir conservez-vous de votre collaboration ?

    A l’époque j’aimais beaucoup travailler pour la télévision, car le rythme de production me plaisait beaucoup. Les films de l'époque étaient produits pour les enfants. A la télévision, il y avait davantage de diversité en terme de contenus, et je dirais même que la télévision était plus expérimentale que le cinéma.

    Et c’est dans ce contexte que j’ai pu travailler sur la série Albator qui m'a permis de trouver mon propre style en tant que réalisateur. Un jour, Toei Animation a décidé de produire un film d’animation à destination des adultes et leur choix s’est porté sur une série de Leiji Matsumoto qui est Galaxy Express.

    Le patron du studio a voulu confier au réalisateur de la série Albator, c’est-à-dire moi, la gestion de ce projet cinématographique. Je dirais donc que c’est davantage la rencontre avec Albator plutôt qu’avec Leiji Matsumoto qui a changé ma vie (rires), un sentiment qui s’est ensuite confirmé quand j’ai tourné Galaxy Express, que je considère comme un road-movie.

    D.R.

    Impossible de ne pas évoquer votre film Metropolis, adapté d'un manga d’Osamu Tezuka avec l’emblématique Katsuhiro Ōtomo au scénario. C’est d’ailleurs vous qui avez poussé ce dernier à se lancer dans l’animation japonaise. Pourquoi avoir choisi de travailler de la sorte avec des mangakas devenu réalisateurs d’anime ?

    C’est en réalité une coïncidence. Je ne sais pas pourquoi j’ai travaillé avec ces trois mangakas, mais ce qui est certain c’est que ce sont des rencontres qui ont changé ma vie. A chaque fois que je fais une rencontre avec quelqu’un de leur talent, quelque chose d’intéressant finit par arriver. Mais ce sont des rencontres finalement très rares.

    FBwhatsapp facebook Tweet
    Sur le même sujet
    Commentaires
    Back to Top