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    "Voir un film américain, c'est la peine de mort" : comment Titanic a sauvé la vie d'une femme fuyant la Corée du Nord
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Fuyant la Corée du Nord en 2007 à l'âge de 13 ans, Park Yeon-Mi avait raconté au Guardian en 2014 comment le visionnage clandestin de films, en particulier "Titanic", étaient une rare et salutaire fenêtre d'ouverture sur le monde. Un récit glaçant.

    Un film peut-il vous sauver la vie ? Pendant que certains en sont encore à considérer la question, Park Yeon-mi a déjà tranché depuis longtemps : oui, mille fois oui. Fuyant en 2007 son pays, la Corée du Nord, alors qu'elle avait 13 ans, elle s'était confiée au journal The Guardian en 2014 sur sa vie dans l'enfer de la dictature implacable et paranoïaque orchestrée par la dynastie des Kim. Un témoignage terrible.

    Nourrie clandestinement aux films étrangers, comme une rare et salutaire fenêtre d'ouverture sur le monde, un film, en particulier, a été décisif pour la conduire à fuir à son pays : Titanic de James Cameron.

    La peine de mort pour un film américain

    L'entame de son récit est glaçant. Âgée d'à peine 9 ans, elle fut contrainte avec toute son école d'assister à l'exécution de la mère de l'un de ses camarades de classe. La foule fut rassemblée sur un stade pour regarder cette mise à mort. Le motif ? La victime avait eu le malheur de prêter un film Sud coréen à un ami... Dénoncée, elle fut passée par les armes.

    Au sein du pays le plus fermé de la planète, dans lequel la doctrine du juche, c'est-à-dire l'autarcie économique- est même inscrite dans la constitution et largement appuyée par une propagande intensive, le marché noir ou parallèle s'est considérablement développé. Dans un pays qui manque de tout ou presque, ce marché noir est même d'une importance vitale.

    ITAR TASS / BESTIMAGE
    Kim Jong Un assistant à une parade à Vladivostok.

    Le pays est ainsi inondé par les produits légaux ou illégaux provenant de Chine, comme les lecteurs DVD. Les copies pirates de films qui s'échangent sous le manteau participent à cette économie souterraine florissante. Ils font même l'objet de trocs : selon le témoignage de Park Yeon-mi, un DVD s'échange contre près de 2kg de riz.

    De quoi aider une famille -et plus largement une population- hantée par la terrible famine qui s'était abattue sur le pays au milieu des années 1990, qui a tué jusqu'à un million de personnes. "Tout le monde avait faim, donc on ne pouvait pas se permettre d'acheter de nombreux DVD. Donc, si j'avais Blanche-Neige et que mon ami avait James Bond, nous échangions nos films" se souvient-elle.

    Mais malheur à celui ou celle pris en possession d'un film non approuvé par le régime. Elle rappelle d'ailleurs qu'il existe des peines différentes en fonction de l'origine du film : "Si vous étiez pris avec un film bollywoodien ou russe, vous étiez envoyé en prison pendant trois ans, mais si c'était sud-coréen ou américain, vous étiez exécuté".

    "Je ne comprenais pas pourquoi cet homme donnait sa vie pour cette femme"

    En dépit des risques encourus à se faire prendre en cas de dénonciation, elle ne voulait pas arrêter de voir ces films clandestinement, "parce qu'ils étaient pour nous une ouverture sur le monde. Mes films favoris étaient Titanic, James Bond, et Pretty Woman. Les gens récupéraient des copies pirates depuis la Chine".

    Elle rappelle ainsi au journaliste du Guardian l'impact qu'a eu sur elle les histoires du cinéma hollywoodien. "En Corée du Nord, tout concerne le leader suprême; tous les livres, la musique ou la télévision. Ce qui m'a bouleversée avec Titanic, c'était que cet homme [Leonardo diCaprio] donnait sa vie pour cette femme, et non pour son pays.

    Je n'arrivais pas à comprendre cet état d'esprit. Dans la culture nord-coréenne, l'amour est une chose honteuse et personne n'en parlait en public. Le régime ne s'intéressait pas aux désirs humains et les histoires d'amour étaient interdites."

    KCNA via Bestimage
    Kim Jong-un diffuse des images de propagande le montrant chevauchant à cheval dans les plaines enneigées du Mont Paektu.

    Elle ajoute : "l'autre chose choquante à propos de ce film, c'est qu'il s'est déroulé il y a 100 ans, et j'ai réalisé que notre pays est au 21e siècle et que nous n'avons toujours pas atteint ce niveau de développement. [...] J'ai compris que quelque chose n'allait pas. Tous les gens, quelles que soient leurs couleurs, leurs cultures ou leurs langues, semblaient se soucier de l'amour, sauf nous. Pourquoi le régime ne nous permettait-il pas de l'exprimer ?"

    Désormais âgée de 30 ans, mariée et maman d'un petit garçon, Park Yeon-mi vit aux Etats-Unis. Elle est devenue journaliste et conférencière. Mais aussi ardente militante pour la cause des réfugiés nord-coréens.

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