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    Douze plans séquences cultes qu'on adore
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    A l'image de l'impressionnant "Victoria" en salle cette semaine, intégralement tourné en un seul plan séquence de 2h14, il existe de très nombreux plans séquences d'anthologie au cinéma. En voici quelques uns; cultes pour certains.

    Scènes filmées en un seul plan, sans coupe ni montage, montrant une action en continu (en temps réel), les plans séquences ont offert au cinéma quelques uns de ses plus beaux moments. Des plans séquences parfois virtuoses qui ont bien entendu plusieurs significations et ne sont pas juste là pour épater la galerie : rentrer dans l'esprit d'un personnage comme dans le cadre d'un monologue, une séquence où la caméra virevolte pour mieux souligner le rythme même du sujet du film et mettre en place des éléments du scénario, etc.

    Alors que sort en salle cette semaine le thriller Victoria, tourné en un seul plan séquence impressionnant de 2h14 (!), on en profite pour livrer 12 plans séquences qu'on adore, et qui sont pour certains aussi fameux.

    La Corde (1948)

    La Corde est célèbre pour ses longs plans séquences. Le film est souvent considéré, à tort, comme étant constitué d'un seul et unique long plan. Le but de Hitchcock était de créer cette illusion de continuité mais il était limité techniquement. En effet, avec les bobines de pellicule il est impossible de filmer plus de 10 minutes en continu. Ainsi, le cinéaste a eu recours à des astuces visuelles pour masquer les raccords (personnage passant devant la caméra, élément du décors obstruant le champ,...) et donner l'illusion de la continuité. Cette impression est par ailleurs appuyée par les unités de lieu, de temps, d'action et par le faible nombre de personnages. Le film est composé, en tout, de 11 plans alors qu'un film de la même durée en comprend généralement entre 400 et 600.

    The Player (1992)

    C'est la première scène -brillante- du film de Robert Altman. Un long plan-séquence d'une durée de 7 minutes et 47 secondes, qui est un hommage direct à ceux, encore plus fameux, des films La Soif du mal d'Orson Welles et La Corde d'Alfred Hitchcock. Ce plan impressionnant a nécessité 15 prises, et tous les dialogues y ont été improvisés.

    Ci-dessous, le plan séquence en question :

    La Soif du mal (1958)

    Le démiurge Orson Welles figurait parmi les réalisateurs adeptes du plan séquence. La Soif du mal débute ainsi par un très long plan séquence de 3 min 20 s, tourné à partir d'une grue en mouvement, et qui est considéré comme un modèle du genre. La scène fut tournée le 14 mars 1957. Cette séquence d'ouverture plante le décor et traduit l'atmosphère pesante et inquiétante qui règne sur la ville, tout en soulignant la tension de plus en plus palpable avec le véhicule que l'on suit, qui transporte une bombe. Pour des raisons pratiques, le tournage s'est déroulé aux Etats-Unis et non pas au Mexique où est censée se situer l'intrigue. La ville de Venice en Californie a été choisie car sa ressemblance avec Los Robles était crédible à l'image.

    Orange mécanique (1971)

    On aurait certes pu citer les formidables plans séquences dans son film Shining, mais on préfère finalement retenir Orange mécanique, avec son fantastique plan séquence dès l'ouverture du film, qui permet de présenter Alex et sa bande de Droogies, buvant un verre de Moloko plus avant de se lancer dans une petite séance d'ultra violence. Un plan séquence littéralement hypnotique, hanté par le célébrissime thème musical d'Henry Purcell, Music For the Funeral of Queen Mary.

    Boogie Nights (1997)

    Autre grand cinéaste à aimer le plan séquence : Paul Thomas Anderson. Et il en place un dès le début de son Boogie Nights, dans une séquence virtuose de 3min, dans laquelle le steadycamer Andy Shuttleworth fait virevolter sa caméra pour plonger le spectateur dans l'ambiance disco qui imprègne la séquence. Plus tard d'ailleurs, il récidivera dans une géniale séquence de Garden / Pool Party, jusqu'à plonger avec la caméra dans la piscine de la maison de Jack Horner. Un hommage cinéphile au chef-d'oeuvre de Mikhail Kalatozov ,Soy Cuba, qui offrait notamment un plan séquence se terminant de la même manière.

    Ci-dessous, le plan séquence de l'ouverture du film...

     ...Et le petit plan séquence - hommage "Pool Party", qui commence à partir de 00''43 :

    Soy Cuba (1964)

    A travers quatre histoires qui renforcent l'idéal communiste face à la mainmise du capitalisme, Soy Cuba dépeint la lente évolution de Cuba du régime de Batista jusqu'à la révolution castriste. Bien sûr, il s'agit d'un film de propagande, qui sera d'ailleurs interdit aux Etats-Unis avant d'être redécouvert en 1993 grâce notamment à Martin Scorsese et Francis Ford Coppola. Il n'en reste pas moins que Soy Cuba, réalisé par le très grand metteur en scène russe Mikhail Kalatozov, est un film majeur de l'histoire du cinéma. Il est célèbre notamment pour la virtuosité de ses longs plan-séquences qui constituent autant de prouesses techniques, notamment un plan qui démarre au sommet d'un hôtel pour se terminer sous l'eau dans une piscine située de nombreux étages plus bas.

    Un plan séquence de 3min30, à voir / déguster ci-dessous :

    Les Affranchis (1990)

    On aurait parfois tendance à considérer les plans séquences uniquement sous le prisme de la longue durée. Ce qui est bien entendu une erreur. Prenez par exemple ce génial plan séquence dans Les Affranchis de Scorsese qui dure environ 1 min, dans lequel Ray Liotta nous présente en voix off la crème des personnages mafieux qui peuplent son univers, tandis que chacun d'entre eux adresse un mot à la caméra.

    On s'en voudrait tout de même de ne pas mentionner évidemment la séquence culte du Copacabana Club !

    Kill Bill (2003)

    Quentin Tarantino a contribué lui aussi au panthéon des plus beaux plans-séquences. En 2003, l'un d'entre eux a marqué notre oeil cinéphile dans Kill Bill : Volume 1. Alors qu'Uma Thurman entre dans un restaurant japonais pour y trouver sa première cible, la caméra de Tarantino se balade à loisir, survolant les cloisons du décor, les transperçant même pour voir l'actrice enfermée derrière l'une d'elles. La caméra quitte finalement le personnage principal pour revenir dans la salle du restaurant, s'attarder sur les musiciennes japonaises, attraper un nouveau personnage et revenir avec elle jusqu'à Uma Thurman. L'unité de la scène, renforcée par la musique, est également brisée par un élément sonore qui est la sonnerie du téléphone portable, indiquant à "La Mariée" qu'un des membres du gang se trouve près d'elle. La caméra flottante peut alors s'arrêter, place à la tuerie.

    Panic Room (2002)

    Avec David Fincher, la caméra s'affranchit de sa réalité matérielle. Elle devient presque virtuelle, omnisciente. Elle ne mime plus le regard humain mais celui divin, qui peut à sa guise traverser les planchers, entrer dans les serrures, passer dans l'anse d'une cafetière. Panic room utilise en 2001 une technique révolutionnaire. Le film a été entièrement prévisualisé informatiquement, avant même que  ne soit tourné un seul plan. C'est ce qui a permis ce plan-séquence spectaculaire et irréaliste du début du film, qui décrit d'un seul regard le risque encouru par Meg et sa fille Sarah. L'effet sera réutilisé plus tard, par exemple lorsque Sarah tentera d'appeler à l'aide par le petit tuyau d'aération de la "panic room".

    L'Arche russe (2002)

    En 2002, Alexandr Sokurov veut revisiter l'histoire de son pays "en un seul souffle". Les nouvelles caméras numériques HD le permettent et le musée de l'Ermitage accepte de lui accorder une journée de tournage dans ses locaux. Le réalisateur russe tourne donc à l'époque le plus long plan-séquence de l'histoire du cinéma, et le premier film réalisé en un seul plan de 96 minutes, L'Arche russe. Si l'on ne compte pas les nombreux mois de répétition qu'il a fallu pour régler les mouvements de caméras et le jeu du millier d'acteurs, le tournage de L'Arche russe est également l'un des plus courts de l'histoire, puisqu'après trois prises interrompues, la quatrième fut la bonne, le tout en une seule journée.

    JCVD (2008)

    Avec JCVD, Mabrouk el Mechri signe un film étonnant, entre comédie fictionnelle et documentaire sur la vie de l'acteur. Un plan à lui tout seul résume cet entre-deux, et c'est un plan-séquence de sept minutes, durant lequel Jean-Claude Van Damme s'adresse à la caméra. Son monologue prend alors un sens plus large que celui limité au récit. Son discours parle de lui, de son parcours, de sa sensibilité. Le dispositif face caméra apparait à la fois comme une référence, mais également une volonté d'effacer les vidéos que l'on a tous vues de l'acteur, et pour lesquelles il a souvent été raillé.

    De manière très intéressante, alors que la scène dépasse le simple cadre de la fiction, la mise en scène extrait son personnage du décor de cinéma dans un mouvement ascendant qui finit par révéler le haut des feuilles de décor et les projecteurs qui servaient à éclairer la scène. Alors que la plateforme sur laquelle Van Damme et la caméra sont installés redescend, le personnage reprend peu à peu ses droits, JCVD redevenant un être de fiction.

    Elephant (2003)

    Le plan-séquence, c'est la marque de fabrique de Gus Van Sant et de sa caméra hyper-mobile. S'il l'avait déjà pratiqué dans Gerry, sa meilleure illustration en est Elephant, Palme d'Or en 2003, dans lequel le cinéaste utilise le plan-séquence pour accentuer l'idée du temps réel qui passe, d'un temps compté avant la terrible tuerie, un temps parfois même distendu par les ralentis. Gus Van Sant filme ses personnages de dos la plupart du temps, déambulant dans les couloirs de l'université, et ne coupe le plan que pour changer de point de vue et ainsi rendre compte des multiples trajectoires qui vont s'entrecroiser jusqu'à la scène finale.

    Le choix technique s'allie ici à un véritable dispositif dramatique (une narration éclatée qui décrit le parcours de différents personnages) et esthétique (le travelling avant suivant le personnage de dos, ou la voiture en plongée, rappellent les jeux vidéo). Un des plans-séquences mémorables est celui accompagné par la Sonate au Clair de lune de Beethoven. On y découvre Nathan et Carrie, un couple qui finira tué dans la chambre froide de l'université. La séquence de six minutes est en réalité parfaitement scindée en deux plans-séquences de trois minutes, l'un à l'extérieur, l'autre à l'intérieur de l'université. La coupe a beau être visible, elle s'oublie tant le dispositif est identique d'un plan à l'autre.

     

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