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    Mathieu Amalric : "Un festival comme Play it again, ça permet de se débarrasser de ses parents !"

    Il y a quelques jours, nous avons rencontré Mathieu Amalric à l'occasion de la 4e édition du festival PLAY IT AGAIN, qui se déroule du 18 au 24 avril et dont il est le parrain. Il nous a parlé, entre autres, de ses premiers chocs de spectateur.

    Jean-Claude Lother / Why Not Productions

    A partir de demain et jusqu'au 24 avril, se déroulera dans toute la France la 4ème édition du festival PLAY IT AGAIN. Une semaine pour découvrir ou revoir une vingtaine de classiques du cinéma mondial : du Bel Antonio à Quai des Orfèvres, de Vivre sa vie au Lauréat, de Billy Elliot à Notre pain quotidien, des Aventures de Pinocchio aux Moissons du ciel... Ce soir, le parrain de cette quatrième édition Mathieu Amalric présentera en ouverture son coup de coeur, le film Samedi soir, dimanche matin de Karel Reisz, au cinéma Luminor Hôtel de Ville. Il y a quelques jours, nous avons rencontré Mathieu Amalric à la terrasse d'un café et nous avons parlé, entre deux cigarettes, de transmission, de sa mémoire de poisson rouge et de ses premiers chocs de spectateur. 

    Play It Again

    AlloCiné : Pourquoi avoir accepté de parrainer le festival Play it again ?

    Mathieu Amalric : Je connaissais un peu, comme spectateur, et ça m'évoque le souvenir de quand on voit des choses qui ne sont pas de son âge, pas de son temps, pas faites pour vous et qui pourtant restent dans l'imaginaire. Évidemment, ça permet aussi de se débarrasser de ses parents, du : « C'était mieux avant, tu devrais plutôt voir ça... » Un festival, avec un titre ludique et qui rappelle Casablanca, ça permet aux jeunes de se construire en dehors des parents. Et le festival travaille sur la question de la modernité. Le fait que le cinéma soit du temps projeté sur un écran, en 2018, ça crée quelque chose de l'ordre de la mémoire vive, pour citer Etienne Daho, que j'aime beaucoup.

    C'est important pour vous la transmission ?

    Non, non, non, je ne pense pas à tout ça. Il ne faut pas y penser, il faut le faire ! On est tous des mauvais parents, chacun se débrouille comme il peut. C'est ce qu'il y a de léger et d'accueillant dans l'esprit du festival. Ce n'est pas une leçon de choses. Et puis le choix des films n'est pas forcément celui qu'on attendrait, c'est très particulier, il y a de tout !

    Il y a des films et des cinéastes très connus et d'autres beaucoup plus obscurs, comme si on voulait faire découvrir des grands classiques, des incontournables, et des choses plus confidentielles.

    Oui, bien sûr. Ça crée des courants d'air, des surprises, des chemins de traverse qu'on n'aurait pas forcément pensé prendre. C'est de l'ordre de l'intime, après, ça vous appartient et ça vous constitue. C'est vrai que j'ai du mal à ne pas penser à des jeunes, mais il y aura aussi des gens qui, quand ils étaient jeunes ont vu ces films ! Par ce biais, ils vont revivre un moment de leur vie – c'est très proustien. C'est toujours très beau de voir comment un film voyage différemment dans le souvenir. 

    Transmettre, il ne faut pas y penser, il faut le faire !

    Votre coup de coeur, c'est Samedi soir, dimanche matin, de Karel Reisz… Pourquoi ce film ?

    C'est très égoïste : Samedi soir, dimanche matin, je ne l'ai vu qu'une fois, il y a très longtemps, et j'ai envie de le voir sur grand écran ! C'est un grand film. On connaît mal cette période anglaise, il y a un mépris du cinéma anglais qui remonte à la Nouvelle Vague. « Il n'y a pas de cinéma anglais », disait Truffaut, ce qui n'est pas vrai. Par exemple, je viens de découvrir Un dimanche comme les autres, grâce à la collection vidéo Criterion, qui fait un travail remarquable, dans la même veine que Play it again. Je vous parle de ça car Reisz, c'est la même époque que Schlesinger. Schlesinger, on le connaît juste parce qu'il a réalisé Marathon Man et Macadam Cowboy, mais il est anglais ! C'est la même bande que Lindsay Anderson, qui a fait If…., que Reisz, que Tony Richardson. Dans les années 1960 ils ont fait des choses folles et je trouve que tout ça vient de Jean Vigo. Ce qui est beau, c'est de voir comment ça circule, comment des jeunes gens vont découvrir ces films et des moins jeunes vont les revoir. Dans ce film de Reisz, il y a quelque chose sur la désobéissance, la dureté de la vie et j'ai l'impression que ce film peut résonner, car je trouve que c'est très dur pour les jeunes aujourd'hui, je les trouve très courageux. 

    Solaris Distribution

    Vous parliez d'une démarche très égoïste tout à l'heure, mais ce n'est pas du tout le cas finalement. Quand on aime un film, on a envie de le partager avec les autres.

    Absolument. D'ailleurs, souvent, les amitiés peuvent être forgées ou cassées à cause d'un livre, d'une musique ou d'un film, et on se dit : « Merde, là, il y a quelque chose qui ne va pas pouvoir continuer. » C'est terrible, mais c'est comme ça. Notre morale intime, commune, elle ne vient pas des parents ni de la société, elle vient de tous les livres, les films, la musique, qu'on a aimés ensemble. C'est pour ça que les trahisons des amis d'enfance ou d'adolescence, c'est quelque chose d'extrêmement douloureux, parce qu'on s'est construits ensemble. Regardez (il feuillette le programme du festival), King Vidor, c'est dément ! C'est dément ! Regarde cette page, c'est incroyable ! On passe de Pinocchio à L'Empire des sens ! C'est super !

    Et alors, il y a beaucoup de la sélection que vous n'avez pas encore vus ? 

    Oui, plein ! (Il se ravise) Euh... Non, pas plein. (Il feuillette le livret) Eh, je ne suis pas mauvais du tout... Je les ai presque tous vus. Ah, je n'ai pas vu Du silence et des ombres et je n'ai pas vu Au long de la rivière Fango

    Donc vous allez y aller ?

    Oui !

    Les amitiés peuvent être forgées ou cassées à cause d'un film

    Quel est votre premier souvenir de spectateur ?

    Bambi, avec ma grand-mère. Ça me faisait pleurer. C'était horrible, traumatisant. Après, ma grand-mère m'a dit que je voulais y retourner tout le temps, même si je ne m'en souviens pas. Après, elle m'a amené voir Les Compères, La Chèvre. C'était ma grand-mère, elle était tailleur, juive polonaise, j'ai vu beaucoup de films avec elle. Après, ma cinéphilie est beaucoup passée par la télévision, pour notre génération. C'était les frayeurs des films noirs qui passaient après Apostrophe, le vendredi, ou grâce à Patrick Brion le dimanche soir, toutes ces comédies de remariage. Du côté des salles, c'était le Studio-Bertrand, où on pouvait rester toute la journée, voir plein de films. La cinéphilie passe par d'autres outils maintenant, elle est beaucoup plus diverse.

    A une certaine époque, c'était les films qui venaient à nous, par le biais de la télévision et des programmations en salle, et maintenant, on a accès à tout et c'est un peu comme si on demandait aux gens d'aller vers les films.

    C'est vrai ! Ça ne passe plus par la salle, mais ce n'est pas grave ! Le cinéma mute, il a toujours muté, et on peut avoir un choc sur un petit écran. Même sur un téléphone, quelque chose passe ! Et puis les jeunes peuvent regarder plusieurs écrans à la fois, ça crée des courts-circuits, des connexions, donc de la dialectique, donc de la réflexion. Mais là, c'est vrai que pouvoir découvrir les films en salle sur ces copies extraordinaires, c'est quelque chose. Qu'il y ait toutes ces salles en France, qui suivent, c'est incroyable et j'avais l'impression que c'était un peu ma place !

    Quel est votre premier choc de cinéma ?

    J'ai une mémoire de poisson rouge, c'est pour ça que je fais des films ! C'est ce qui me permet d'être exalté chaque matin, en fait, donc c'est bien ! C'est comme ça que je m'en sors avec l'héritage aussi, sur le : « A quoi ça sert de faire un autre film si tout a déjà été fait ? » Moi, ça ne me tétanise pas du tout, parce que j'oublie ! L'enfance est quelque chose que j'ai totalement oblitéré, je crois qu'on attend juste que ça passe, on n'existe pas encore. Certains disent que l'enfance est le moment le plus beau de leur vie : je ne les crois pas. Les chocs, pour moi, remontent plutôt à l'adolescence. C'est quand j'ai commencé à aller beaucoup au cinéma - tard - vers 16-17 ans. Je me souviens de Love Streams, en 1984, j'avais déjà 19 ans. Je l'avais vu avec mes parents, en famille ! Avant, il y a eu Bergman, Oshima - Contes cruels de la jeunesse, L'Empire des sens. Les Emmanuelle, que j'ai vus trop jeune ! Ça c'est l'enfance ! Les colonies de vacances, où les plus vieux t'emmènent voir des films interdits aux moins de 16 ans alors que tu en as 12 ! Et puis Zéro de conduite, La Règle du jeu. Et tous les films qui sortaient à cette époque-là, dans les années 1980 ! Ils sont là, comme des cellules qui vivent et se ravivent dans votre quotidien, dans vos amours. 

    DR

    Vous revoyez beaucoup les films ? 

    Non, je suis assez mal équipé. Hier, je voulais voir le mélodrame Le Violent de Nicholas Ray, en Blu-ray, car je travaille beaucoup sur le mélo en ce moment, pour un film que j'ai envie de faire, et ça ne marchait pas, ça m'a énervé !

    Il n'y a pas de films que vous avez besoin de revoir régulièrement ?

    Si, il y a Huit et demi, vers lequel je reviens tout le temps, je m'en aperçois ; le moment de la cloche dans Andreï Roublev ; Trains étroitement surveillés, un film tchèque des années 1960 ; les premiers films de Milos Forman, qui m'avaient complètement chamboulé. Ce qui est beau, c'est que ça continue, avec ce film de Schlesinger que j'ai découvert il y a une semaine, alors que c'est un réalisateur auquel je n'avais jamais vraiment fait attention. Il y a les films de Satyajit Ray. Et Otar Iosseliani, évidemment, car c'est comme ça que j'ai découvert le cinéma, c'est le choc du plateau. C'est enthousiasmant, c'est comme si on abolissait le temps. C'est plus compliqué avec les livres, car le temps de la lecture est parfois un effort, tandis que le temps de la projection ne change pas, c'est un temps pris à l'inéluctabilité du présent. 

    Où est-ce que vous êtes le plus heureux ? Devant un film, devant une caméra ou derrière une caméra ?

    J'ai une grande capacité de joie. Quand on est en train de fabriquer un film, on fait ce qu'on peut avec l'argent qu'on a et on se projette en tant que spectateur. Quand on est en train de faire un film, on se dit : « Pourquoi je ne suis pas juste en train de voir un film au cinéma l'après-midi ? », un peu comme le film de Rohmer, L'amour l'après-midi, c'est à dire ce moment où on n'a pas le droit d'aller au cinéma. C'est extraordinaire, d'aller au cinéma l'après-midi ! Les mauvais films me plombent, ils me rappellent à quel point c'est difficile de faire des films qui n'aient pas trop l'air volontaires, mais les bons films, c'est l'inverse. Mon dernier choc, c'était Seule sur la plage la nuit de Hong Sang-Soo. J'étais spectateur et je me suis dit : « J'ai envie de filmer. » Ca se nourrit, l'un, l'autre. La vie d'acteur est un autre métier manuel du cinéma pour moi, qui a été provoqué par d'autres. C'est une autre facette. 

    Samedi soir, dimanche matin, sera projeté ce soir en ouverture du festival Play it again et présenté par Mathieu Amalric :

     

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