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    Criminal sur Netflix : on a rencontré le réalisateur de la série choc

    Derrière la caméra d'Engrenages et des Revenants, également du long-métrage Moka, avec Nathalie Baye, le suisse Frédéric Mermoud réalise les épisodes français de la série Criminal. Il nous raconte les coulisses du tournage de ce projet d'envergure.

    [Attention spoilers] L'interview qui suit commente certains ressorts des scénarios de Criminal. Si vous n'avez pas encore vu les épisodes, poursuivez votre lecture au risque de vous faire spoiler !

    AlloCiné : Comment s'est déroulé le travail avec les showrunners ?

    Frédéric Mermoud : Les Anglais (George Kay et Jim Field Smith, ndr) ont mis en place le concept, une proposition dramatique assez minimaliste fondée uniquement sur les interrogatoires dans un système de huis clos. Ensuite, ils ont contacté trois autres réalisateurs. Il y avait en amont une matrice forte, et  chaque pays a pu s'approprier le concept. On a pu proposer des sujets. Chaque réalisateur a en quelque sorte "sous-showrunné" son bloc d'épisodes, en faisant des allers-retours avec les showrunners anglais

    AC : Et avec vos co-scénaristes Antonin Martin-Hilbert et Mathieu Missoffe ?

    FM : On se connaissait, on a travaillé ensemble sur Engrenages. On était d'accord sur le fait que le polar est un genre qui permet de raconter la société, une sorte de fenêtre sur ce qui la traverse. Je voulais raconter des histoires très en prise sociologiquement avec l'époque. Pour le Bataclan, c'est clair et net. Ensuite quand on a exploré la piste du "hate crime" (crime haineux, ndr), lié à l'homophobie, on s'est rendu compte que c'était concomitant avec l'actualité, presque de façon inconsciente, que c'est un sujet qui intéresse la société dans laquelle on vit. Pour moi, ça fait partie de la vertu du polar. Ce qui était important pour moi sur les trois épisodes français, c'était de donner une vision de ce qui se passe ici et maintenant. On avait ce souci de poser ce regard. C'est un truc que j'ai vraiment aimé faire.

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    AC : Y a-t-il eu des échanges avec les équipes des autres pays, notamment pour éviter les redites ou des scénarios trop proches ?

    FM : Parce que chaque pays s'est approprié cette matière à sa manière, c'était quasiment impossible qu'il y ait des redondances. Ça aurait été un sacré hasard ! Chaque pays raconte quelque chose qui le travaille à sa façon. La seule chose commune, qui était inconsciente et qui n'a pas été modifiée, c'est que dans trois pays sur quatre, le chef d'équipe est une femme. Sans faire de la sociologie "à deux balles", c'est intéressant parce que dans le polar, même dans les séries récentes comme Engrenages, il n'y a souvent qu'une femme ou deux. Là, ça change un peu, ça raconte aussi un truc sur nos sociétés. Ce n'était pas une consigne, et nos inconscients respectifs se sont rejoints sur ce point-là.

    AC : Comment avez-vous dosé les intrigues principales des interrogatoires et le fil rouge qui relie les trois épisodes, à savoir les relations entre policiers ?

    FM : C'était un des enjeux : comme l'histoire de chaque suspect se conclut à la fin de son épisode, il y avait la volonté de "feuilletonnement" et de cycle pour unifier les "blocs" d'épisodes par pays. Ce qui était important, c'était de mettre en relation ce qui se passe avec les suspects et ce qui se passe pour les flics. On a eu l'idée d'une jeune flic un peu académique, qui sort de l'école et qui est chef d'équipe alors que personne ne voulait que ce soit elle. Dans l'épisode avec Nathalie Baye, c'est assez présent, elle est très seule au début. Ce n'est pas facile pour une femme de s'affirmer dans un contexte a priori très masculin. Donc on a essayé de tisser des liens entre ce que disait chaque personnage avec son historique propre et ce que vivait chaque suspect. Par exemple, à un moment donné, le vieux flic, on sait qu'il est fils d'ouvrier et c'est ce qui va permettre à l'enquête d'avancer. L'interaction des flics est en écho avec les histoires : chaque flic peut apporter son regard sur les cas criminels.

    AC : Quelles sont les contraintes de l'écriture d'un huis clos ? Comment les avez-vous prises en compte pour ces épisodes ?

    FM : Le huis clos est a priori un dispositif très contraignant, mais je me suis rendu compte qu'il laisse une très grande liberté. C'est assez excitant. Comment est-ce qu'on raconte un cas policier sans la moindre scène d'action, le moindre revolver, le moindre flashback ? Ça prend presque le contre-pied de la grammaire traditionnelle. Ça permettait de se concentrer, en tout cas pour moi, sur le jeu d'acteur, parce que le huis clos c'est une sorte d'arène. Ce qui a primé pour moi, c'était de permettre aux personnages de s'incarner, de s'affirmer, de se développer et d'évoluer dans ce cadre assez confiné.

    Avec le huis clos, c'est la parole qui devient l'action.

    Quand on est dans la salle d'interrogatoire, on ne sait jamais si c'est le jour ou la nuit, si c'est le printemps ou l'été, donc ce lieu lui-même crée une tension. C'est un espace clos, anxiogène. Quand le suspect y entre, on est déjà dans un état de fébrilité, parce que chaque parole dite va non seulement être enregistrée, mais va aussi compter pour la suite. C'est là que se met en place le jeu du chat et de la souris où chacun va essayer de déstabiliser l'autre, de pousser au lapsus ou à l'acte manqué.

    Avec le huis clos, c'est la parole qui devient l'action. D'un coup, la parole n'est là ni pour décrire ni pour informer, elle devient une arme : on troque les revolvers avec des silences, des affirmations, des mensonges ou des vérités. Ce jeu-là, il est assez palpitant.

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    AC : Avec les trois unités (lieu, temps, action) qui régissent chaque épisode, comment éviter alors un rendu "théâtre filmé" ?

    FM : D'abord, on s'est dit que dans la salle d'interrogatoire et dans la salle d'observation, les caméras sont sur pied et le montage est découpé, alors que dans le corridor, on est plus sur travelling et en plan séquence. C'était la première approche pour attribuer aux espaces une grammaire. Ensuite, comme un interrogatoire, au fond, c'est un face-à-face, j'ai eu le désir de travailler la figure de style très basique du champ / contrechamp. Cela donne toute sa force à cette arène, alors que, souvent, on pense qu'il faut en sortir si on veut que quelque chose émerge.

    Il y a un travail sur le plan large et le gros plan, les changements d'axe, des subtilités dans le découpage, qui prend un sens très fort dans ce dispositif. Quand on passe au très gros plan, c'est un moment choisi. Quand on passe d'un côté à l'autre de l'axe, ça crée des sensations différentes. On est dans un langage typiquement cinématographique.

    De plus, avec la salle d'observation, ce qui est intéressant, c'est qu'à la fois ça montre ce que vivent les autres flics, avec leurs propres histoires, et en même temps, ça raconte un peu ce que vit le spectateur, observateur et silencieux. Les flics derrière la fenêtre sans tain sont témoins comme nous derrière l'écran. Ça m'amusait d'être à la fois à la place des flics et à celle du spectateur.

    AC : Comment dirige-t-on des acteurs qui doivent jouer l'innocence même s'ils savent que leur personnage est coupable ?

    FM : C'est une lapalissade mais dans ce type de projet, le choix de l'acteur est fondamental. Je cherchais des acteurs qui ont cette capacité d'incarner avec complexité un personnage et son histoire. Comme ces personnages sont convoqués, ils ont forcément un lien avec le crime dont il est question. Et comme, souvent, ils ont quelque chose à cacher, il y a une vérité qui doit être révélée. Il fallait trouver des acteurs qui en étaient capables, c'est des premiers violons ! C'est une sacrée performance !

    J'ai joué avec l'épuisement, comme un vrai suspect est épuisé à la fin de sa garde à vue.

    Chaque épisode étant tourné sur cinq jours en tout, c'est très stressant. Ils devaient connaître leur texte, très long, au cordeau. C'est un challenge, donc on voulait des acteurs qui aient ce goût-là. Et comme le tournage des scènes dans la salle d'interrogatoire était concentré sur trois jours extrêmement intenses, ils étaient presque en conditions réelles. J'ai joué avec l'épuisement, comme un vrai suspect est épuisé à la fin de sa garde à vue. Il fallait des comédiens prêts à jouer le jeu et je crois qu'ils ont aimé ce défi.

    AC : Malgré l'intensité du tournage, vous en gardez un bon souvenir ? C'était comment de travailler aux nouveaux studios de Netflix à Madrid ?

    FM : Oui, franchement. Ce qui m'animait notamment, c'était de travailler avec ces acteurs formidables, avec leur plaisir du jeu. Tous ont fait ce plongeon dans l'inconnu. Souvent en France, on ne tourne quasiment qu'en décors naturels. Je l'ai vu avec Engrenages, à part les scènes de commissariat, et Les Revenants sur lesquelles j'ai travaillé : on change de décor deux fois par jour et, pendant quelques semaines, on est tout le temps en mouvement. Là, tout d'un coup, vous vous retrouvez dans un studio, où tout est éclairé comme il faut, le décor est construit expressément pour le show, les monteurs sont aussi sur site et tout le monde vient au même endroit tous les matins. C'est assez étonnant et assez fort, même en tant qu'expérience de vie. C'était la première fois pour moi, ce côté studio au sens classique du terme.

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