L'Arche de Noé : les secrets du tournage

Le projet trouve sa genèse lorsque Bryan Marciano a vu un reportage sur une association accueillant des jeunes LGBT. Le cinéaste se rappelle : "Il y avait un jeune gars bien né et une jeune fille lesbienne, qui venait de la rue et jouait du djembé. C’était à la fois bouleversant et très drôle. Décalé. L’idée d’un huis clos où se retrouveraient des gens très différents mais avec la même problématique a trotté dans ma tête pendant un moment. Et puis j’ai voulu les rencontrer, sans vraiment avoir de but, mais avec une envie de récolter des témoignages."

Bryan Marciano a commencé par approcher une association : "Ça a mis des mois pour montrer patte blanche et j’y suis allé. Je m’attendais à trouver du tire-larme. Je pensais affronter frontalement un mur d’émotions. Et j’ai débarqué dans ce qui a fini par être la scène d’ouverture du film, c’est-à-dire entouré par tous ces jeunes qui ne me calculaient pas et où je ne comprenais rien à ce qui se passait. Un bordel monstre très loin de ce que je pensais découvrir. Pas l’émotion attendue. Je suis resté dans mon coin à observer. J’ai fini par me manifester demandant si quelqu’un voulait bien me parler. Ça a donné des entretiens qui m’ont passionné", se rappelle le réalisateur.

Pendant les mois passés dans ces associations à travers la France, Bryan Marciano a croisé des gens extraordinaires, mais pas pour les raisons auxquelles il s’attendait. Il précise : "Je m’attendais à m’identifier. Je m’attendais à pleurer. Mais ces jeunes sont en béton armé. Ils vous parlent très froidement de vies très dures. Des histoires de prostitution, beaucoup. Des histoires de séquestration..."

"Peu à peu je me suis rendu compte que l’émotion pour moi n’était pas là. Pas dans leurs récits ou leurs parcours à proprement parler, mais dans tout ce qui était en creux. Ce qui m’a bouleversé, c’est leur pudeur, leurs non-dits. Quand je les voyais être ce qu’ils sont avant tout : des jeunes. Qui parlent de choses normales de leur âge, de ce qu’ils vont manger ce soir où ils vont sortir samedi."

"De tout, sauf des choses graves de leur vie. Juste des jeunes qui essaient de s’affirmer, de dire « je ». Qui s’agitent pour essayer d’exister et du coup sont très outranciers. J’étais à la fois témoin de cela et dans la confidence de leurs secrets lors de nos entretiens. L’urgence du film est née là."

Côté réalisation, Bryan Marciano voulait être dans le mouvement pendant la première partie du film. Il a ensuite opté pour une majorité de plans fixes et plus longs, avec la question primordiale du point de vue. Il confie : "J’ai tout de même quatorze personnages. Et c’est là où la contrainte économique est devenue un avantage. Je ne pouvais couvrir tout dans toutes les scènes pour pouvoir ensuite choisir au montage. Il fallait trancher dès le tournage."

"Nous avons tourné dans un décor construit que je connaissais par cœur et dans lequel j’ai pu travailler mon découpage en amont du tournage. J’avais une idée très précise de ce que je voulais et l’obsession première était de ne pas faire un film documentaire ultra réaliste. On a beaucoup travaillé avec la cheffe déco pour fabriquer des visuels précis de chaque plan. Et avec la cheffe costumière pour affiner la palette de couleurs de chaque personnage."

Bryan Marciano n'a pas cherché à faire un film social attendu. C'est pour cette raison qu'il a choisi Valérie Lemercier dans la peau du personnage principal : "Valérie est une femme qui m’a bouleversé et que j’ai aimé pour les mêmes raisons que j’ai aimé les jeunes. Elle est comme eux, elle ne montre rien, pourtant j’ai l’impression de la connaitre par cœur. Elle est très profonde et surtout très drôle, ce qui est un critère absolu pour moi."

"En plus avec elle, tu peux te raconter beaucoup de hors champ sans avoir besoin de rien faire. Elle trimballe naturellement un truc. On se demande d’emblée qui elle est, ce qu’elle fait là. Elle permet de feinter les stéréotypes. En plus c’est une actrice qui timbre. Elle a une voix qui projette. Et dans les longs pavés que je lui faisais jouer, elle interprétait chaque mot."

Pour Alex, interprété par Finnegan Oldfield, Bryan Marciano ne voulait pas d’un personnage qui serait homophobe au début du film et qui finirait par ne plus l'être à la fin. Le metteur en scène explique : "C’était daté, pas réel. Je me demandais ce qu’il devait incarner. Bien sûr il y avait un côté grand frère, l’idée de protection. En revanche, je voulais évoquer hors champ quelqu’un qui aurait grandi en foyer. Que le personnage trimballe quelque chose de rompu. Une fragilité non dite mais que je ne voulais surtout pas raconter."